(Québec) Santé Québec impose un régime minceur au réseau de la santé, mais n’hésite pas à dépenser 1,7 million pour embaucher des consultants externes afin de réaliser sa transition, a appris La Presse.
La société d’État a déboursé près de 2 millions de dollars en six mois pour le recours aux « services de professionnels externes et conseillers stratégiques ». Une quinzaine de contrats de gré à gré ont été conclus depuis juin 2024, selon une compilation faite par Santé Québec à notre demande.
Ces consultants externes ont dans la plupart des cas le mandat d’accompagner les établissements de santé dans leur transition vers Santé Québec, qui est devenue le 1er décembre dernier l’employeur unique du réseau de la santé. Et même d’« assister » les « top guns » de la nouvelle société d’État dans leurs fonctions.
Un contrat estimé à 115 770 $ a par exemple été conclu pour épauler le numéro 2 de Santé Québec, Frédéric Abergel, dans les « opérations et transformations » du réseau.
Santé Québec a également retenu les services d’un conseiller externe au coût de 115 000 $ pour fournir un accompagnement stratégique aux établissements dans leur démarche d’intégration. Un autre contrat d’une valeur de 90 945 $ vise à offrir un soutien à la gestion. On offre aussi un accompagnement à la mise en place du nouveau modèle de gouvernance des conseils d’administration.
Des conseillers ont également été embauchés pour implanter de nouvelles technologies de l’information, a confirmé Santé Québec.
La société d’État a même retenu les services d’une « experte en matière de gestion des blocs opératoires et de l’accès à la chirurgie » pour l’aider à réduire les listes d’attente, une grande priorité du ministre Christian Dubé. Cette spécialiste devra « participer aux processus de mise en place des meilleures pratiques en chirurgie en coordonnant le processus d’accompagnement des milieux cliniques », écrit-on.
Ces dépenses surviennent au moment même où la société d’État veut forcer les CISSS et CIUSSS à renouer avec l’équilibre budgétaire en réalisant des économies de 1,5 milliard (déficit projeté des établissements du réseau pour l’année 2024-2025).
Le retour à l’équilibre budgétaire pèse lourd sur les gestionnaires, l’objectif étant non négociable, a prévenu Christian Dubé. Le ministre a récemment reconnu que l’exercice aura un impact sur les services aux patients, mais qu’il faudra le « minimiser ».
« Partir de zéro »
Santé Québec explique le recours à des conseillers externes par le fait que ses équipes « ont été constituées à partir de zéro » au printemps, à commencer par l’équipe exécutive. « À ce moment, les vice-présidences ne disposaient pas encore des équipes nécessaires pour intervenir dans des situations nécessitant une action immédiate dans des secteurs où l’expertise est rare », indique le porte-parole Jean-Nicolas Aubé.
La société d’État rappelle qu’il s’agit de contrats pour combler des « besoins ponctuels et à court terme » et qu’ils « ne vise[nt] pas l’embauche de ressources permanentes ».
« Notre priorité : disposer rapidement de la capacité à agir et, surtout, livrer des résultats significatifs pour la population, tant dans la gestion des opérations du réseau de la santé que dans l’encadrement des équipes dans les établissements », assure M. Aubé, dans une réponse écrite.
Santé Québec rappelle également que « les équipes de soutien transférées » du ministère de la Santé et des Services sociaux « n’avaient pas encore complété leur transition vers la nouvelle entité ». Le transfert de quelque 900 fonctionnaires, qui devait avoir lieu à l’automne, a été reporté à janvier.
Risque pour la réputation
Or, il y a là un risque « de réputation et d’image » pour Santé Québec, qui commence à peine ses opérations, croit Ivan Tchotourian, professeur de droit des affaires et de responsabilité sociale des entreprises et directeur de l’Institut d’éthique appliquée de l’Université Laval.
« C’est l’enjeu qui me semble le plus fondamental et essentiel, dit-il. D’un côté, vous faites des coupes pour économiser, et de l’autre, vous dépensez pour établir [votre] organisation. […] Ça peut sembler contradictoire […] il faut être vigilant et expliquer pourquoi on dépense cet argent dans ce contexte difficile. »
M. Tchotourian donne l’exemple du recours controversé à la firme McKinsey par le gouvernement de Justin Trudeau, qui a fait la manchette en 2023. « Il y a une pratique qui se développe, celle de faire appel à des firmes externes. Ça donne peut-être une apparence que c’est mieux fait […], mais McKinsey a démontré que ce n’était pas toujours le cas », souligne-t-il.
« Il faut se poser la question de la pertinence. Est-ce que dans tel dossier, on a vraiment besoin d’aller à l’externe ? […] Je pense que c’est peut-être aussi une solution de facilité parce que plutôt que de rechercher à l’interne, il suffit de contacter certains consultants qui vont prendre le dossier parce que pour eux, c’est rémunérateur, bien entendu », prévient le professeur.
Santé Québec demande notamment aux établissements de réduire les heures travaillées de 3,65 % – ce qui provoque une levée de boucliers de la part des syndicats –, de réorganiser les services, de réviser les services sans financement récurrent, de réduire les heures supplémentaires et de supprimer des postes vacants, y compris chez le personnel soignant, pour éliminer le déficit.
Contrats accordés pour des services professionnels externes depuis juin 2024
- 1,14 million
Contrats touchant le soutien des directions dans la transition - 500 484 $
Contrats touchant l’implantation des technologies de l’information - 42 021 $
Contrat pour gestion des blocs en chirurgie
Total : 1,685 million
Source : Santé Québec